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Interview Game UX Summit | Celia Hodent : “L’UX c’est vraiment se détacher de son point de vue de créateur ou de créatrice”

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Interview Game UX Summit | Celia Hodent : “L’UX c’est vraiment se détacher de son point de vue de créateur ou de créatrice”

[Temps de lecture : 5min]

 

🕹Ubisoft, EA Games, Epic Games, Rockstar Games ou encore Sega ça vous parle ? Il ne faut pas forcément être gameur (ou gameuse) pour connaître ces célèbres studios du jeu vidéo et à moins que vous ne viviez dans une grotte au fin fond de l’Alaska, vous n’avez pas pu rater le succès des créations de ses studios : le célèbre Fortnite qui fait rêver vos enfants ou encore les éditions FIFA pour les amoureux du ballon rond !

 

Venus des 4 coins du monde et pour de vrai ! (Afghanistan, Inde, Etats-unis …) Ces studios étaient la semaine dernière à la Plaine Images (espace de coworking et incubateur dédié aux industries créatives de la métropole Lilloise) pour l’édition 2019 du Game UX Summit. Deux belles journées d’ateliers et de conférences de très haut niveau sur l’UX dans l’industrie du jeu.

 

J’en ai également profité pour rencontrer et poser quelques questions à la célèbre Celia Hodent, Game UX consultant mondialement reconnue pour son rôle clé dans le succès de Fortnite ! 

 

Celia Hodent on stage !

 

OLIVIER : Bonjour Celia, on va commencer par une question simple, si tu peux te présenter et présenter ton parcours ?

 

CELIA : Bonjour Olivier, alors je viens de la psychologie du développement. J’ai un doctorat en psychologie que j’ai obtenu à l’université Paris 5, mais depuis plus de 10 ans maintenant je travaille dans le jeu vidéo. J’ai commencé à Ubisoft à Paris (Montreuil) avec l’équipe Think Tank Strategic Innovation Lab, l’équipe Games For Every One et l’équipe Édito.

 

J’ai ensuite bougé chez Ubisoft à Montréal où j’ai travaillé avec l’équipe Rainbow Six. Puis, je suis allé chez LucasArts où j’ai bossé sur deux jeux Star Wars qui n’ont malheureusement pas vu le jour parce que Lucas a été racheté par Disney, et donc Lucas Arts a fermé. C’est à cette période que j’arrive chez Epic Games et que je deviens directrice du UX chez Epic Games. J’ai vraiment démarré la stratégie UX là bas avec Unreal Engine, par exemple, et plusieurs projets de jeux notamment sur Fortnite. C’est d’ailleurs l’équipe avec laquelle j’ai travaillé le plus pour développer cette stratégie UX. J’ai ensuite quitté Epic en fin 2017 et je suis depuis, consultante en freelance.

 

OLIVIER : Et pourquoi le domaine du jeu vidéo ? Tu étais déjà gameuse ?

 

CELIA : Oui, j’ai grandi avec les jeux vidéo où je jouais avec mes parents. On jouait à beaucoup de jeux y compris les jeux vidéo avec notre “Philips Magniavox Odyssey”.  J’ai toujours aimé le jeu ! Et dans la psychologie du développement, le jeu est très important. On sait que ça aide à grandir et à apprendre énormément de choses. Tous les jeux sont intéressants y compris les jeux vidéo.

 

OLIVIER : Ça me fait penser à une chose, je sais pas si tu as vu mais l’armée allemande a réalisé des recrutements avec des jeux vidéo. Je sais pas ce que tu en penses, si tu vois une relation entre les deux ? ( 🎥 voir ici)

 

 

CELIA : Non pas vraiment. Par contre ce qui arrive maintenant, c’est que l’armée et les militaires utilisent une technologie qui ressemble aux jeux vidéos, c’est donc un peu le contraire qui se passe. Maintenant, on est beaucoup plus éloignés pour tuer des gens. Et donc ça permet de détacher cet affect, alors si ça ressemble à un jeu vidéo ça passe mieux. Mais bon, même pour les militaires c’est très difficile. Il y a beaucoup de problèmes de syndrome post-traumatique. Tout ce que je peux dire, c’est que le lien n’est pas vraiment évident en terme de skills…

 

Photo interview Célia Hodent

 

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OLIVIER :  Alors toi qui fais de l’UX depuis longtemps. Aujourd’hui dans les jeux vidéo, c’est quoi les méthodes principales pour faire de l’UX ? Est-ce qu’il y a de la recherche, du design ? Est-ce qu’il y a aussi des tests utilisateurs ?

 

CELIA : Bien sûr. C’est surtout les tests utilisateurs qui sont apparus en premier dans le domaine du jeu vidéo. Les tests et les recherches utilisateurs. Ubisoft et Microsoft font partie des premiers gros studios qui ont utilisé ce procédé dans l’industrie du jeu, et c’est comme ça que l’UX dans le gaming a fait ses débuts !

 

Mais l’UX dans le jeu vidéo on n’en parlait pas. Il y a 10 ans,  on faisait des playtests de recherche utilisateurs pour de la “vérification” pendant que le jeu était en développement. Donc ça a commencé, il y a à  peu près une dizaine d’années, mais on ne parlait pas de stratégie UX, il n’y avait pas ce recul de “qu’est ce que c’est, qu’est ce que ça veut dire et quelles sont les disciplines derrière.” L’ergonomie cognitive dans le jeu on n’en parlait pas encore.

 

OLIVIER : Est-ce qu’il y a un rapport entre l’UX et la jouabilité. J’entends souvent parler de cette notion, est-ce que c’est intimement lié ou est-ce que c’est radicalement séparé ?

 

CELIA : Non, c’est lié . De toute façon, tout fait partie de l’UX, puisque l’UX c’est vraiment de se détacher de son point de vue de créateur ou de créatrice de jeu pour adopter le point de vue des joueurs. Et donc la jouabilité, fait surtout référence au contrôle ou à l’utilisabilité.

 

Il y a aussi également cette notion de “Game feel” dans les jeux vidéo. Ce terme se rapproche pas mal du terme de “jouabilité” en français. Est-ce que c’est réactif ? Est-ce qu’on se sent bien quand on joue ? Est-ce qu’on a un bon feeling ? Tous ces critères sont très importants et font partie des éléments primordiaux pour l’engagement.

 

OLIVIER : Justement, j’entendais parler de la notion de “Flow”. Alors qu’est-ce que ça veut dire exactement ?

 

CELIA : Le Flow ça vient d’une théorie du psychologue Mihàly Csikszentmihalyi, qui essaie de comprendre ce qui rend les gens heureux et l’origine du bonheur. En faisant le tour du monde, il s’est aperçu que les gens qui avaient été le plus souvent dans un état de flow étaient les plus heureux.

 

Être dans un état de flow c’est quand on travaille, ou quand on est en train de faire de la musique, quand on est en train de créer et qu’on est complètement concentré sur notre tâche. On a plus cette sensation de pression extérieure, on entend plus les gens passer et on ne se rend même plus compte qu’on a faim. On flotte un peu.

 

Et dans ces moments de concentration intenses, on se sent bien et on arrive à faire plein de choses. À être très créatif et effectuer beaucoup de tâches qui nous intéressent.

 

Et c’est d’ailleurs, Jenova Chen, l’un des premiers à rapprocher cette théorie du flow aux jeux vidéo. Et quand on joue, quand on est vraiment dans le jeu, on est dans ce même état de total concentration sur ce qu’on est en train de faire, qu’on en perd la notion du temps et cette pression extérieure. Donc l’idée c’est que les bons jeux vidéo nous mettent dans cet état où on se sent bien, où on a vraiment l’impression d’accomplir des choses intéressantes qui demandent du challenge.

 

Photo interview Célia Hodent

 

OLIVIER : Est-ce que cet état de flow, c’est quelque chose qu’on peut retrouver dans le domaine de l’UX ou du e-marketing, e-commerce par exemple ? On voit que les marchands essaient d’accrocher mentalement, de faire rebondir en permanence, peut être avoir un état “flow de shopping”.

 

CELIA : Alors c’est difficile de répondre à ça. D’abord il y a la question de UX, quand on regarde l’utilisabilité : est-ce que les gens arrivent à utiliser les outils ou le jeu vidéo, est-ce qu’on comprend le menu, est-ce qu’on n’est pas bombardé par trop d’informations, est-ce qu’il n’y a pas trop de choses à mémoriser etc…

 

Mais dans tout produit, que ce soit un jeu vidéo ou dans la vie de tous les jours, c’est aussi bien d’avoir cette connexion émotionnelle avec les objets. Par exemple le téléphone : il est beau on a une bonne sensation au toucher, c’est ce que Don Norman appelle le design émotionnel. Ce fait est important pour tout produit et pour un jeu vidéo, il est primordial ! Parce qu’un jeu vidéo peut être facile à utiliser mais s’il n’est pas intéressant ça n’accroche pas et ce n’est pas engageant. Donc cette notion d’engagement est essentielle dans un jeu et elle est de plus en plus essentielle sur n’importe quel produit. On essaye toujours de faire en sorte que les gens soient engagés.

 

C’est un petit peu différent de la notion d’accrocher les gens pour qu’ils ne quittent jamais la plateforme. Parce que là, on parle de choses de l’économie de l’attention et on commence à frôler des questions d’éthique. Où là, l’idée ce n’est pas forcément de donner une expérience très agréable pour les utilisateurs, à faire en sorte qu’ils puissent faire ce qu’ils aient envie de faire et qu’ils aient une bonne expérience, mais plutôt à rester sur son côté business, à garder les gens plus longtemps sur nos plateformes.

 

C’est une ligne assez fine, parce que l’UX c’est vraiment faire vivre une bonne expérience à ses utilisateurs.  On se détache de l’UX quand on commence à utiliser des techniques de façon à pouvoir exploiter nos biais cognitifs et exploiter les limites cognitives. Le tout pour inciter les gens à rester plus longtemps sur la plateforme sans forcément qu’il en ait particulièrement envie.

 

C’est là le problème. La limite n’est pas toujours claire. C’est pour ça que c’est important de parler de ces notions d’éthique et que c’est important de faire en sorte que les objets utilisés soient engageants et agréables à utiliser.

 

Photo interview Célia Hodent

 

OLIVIER : Juste pour finir, est-ce qu’il y a des astuces UX qu’on pourrait réutiliser et qui pourrait transformer l’expérience client dans d’autres domaines ? Je pense surtout aux applications métiers mais aussi pour tout l’univers du webmarketing, et du e-commerce.

 

CELIA :  Moi j’ai un cadre de travail que j’utilise en parlant d’utilisabilité et d’engagement. Ce qui est important selon moi, c’est d’abord de comprendre ce qui est engageant et ce qui nous motive, puis de réfléchir à des questions de relationnel. C’est toujours beaucoup plus engageant d’interagir avec une plateforme, avec un produit ou n’importe quoi, si ça nous permet d’échanger avec d’autres personnes, avec nos amis ou des gens inconnus.

 

C’est pour ça que les réseaux sociaux explosent, parce qu’on a ce côté relationnel dont on a besoin. Donc c’est vraiment réfléchir à faire en sorte que la plateforme ou l’objet permettent d’enrichir ces échanges, mais aussi permettent aux gens de se sentir autonomes, d’être créatifs, de pouvoir créer et pas juste consommer des produits.

 

C’est ce genre de choses qu’on a dans l’univers du jeu vidéo, parce qu’on est très actif. Il y a beaucoup de jeux où on peut créer et puis il y a beaucoup de jeux on peut aussi s’exprimer, choisir son costume, choisir sa danse et choisir la façon dont on va résoudre les problèmes où encore la façon dont on va coopérer avec d’autres personnes… On a vraiment ce côté là qui peut être utilisé et qui sera bien utilisé dans tout autre produit.

 

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OLIVIER : Dernière petite chose sur le Game UX Summit, que tu as créé. Est-ce que tu peux m’en dire deux mots ? Et pourquoi l’avoir créé ?

 

CELIA : Alors, j’ai créé le Game UX Summit parce que dans le jeu vidéo on ne connaissait pas encore bien ces notions d’UX et on avait tendance à ramener ça à l’interface, donc le UI. Donc vraiment des questions de design d’interaction ou d’icônes ou des menus etc… Alors que l’UX, c’est l’ensemble de l’expérience qu’une audience va avoir avec avec un produit ou une plateforme.

 

Et donc, c’était un peu pour donner de la perspective, de rassembler des gens qui travaillent dans l’univers UX du jeu vidéo, mais vraiment au sens large ! Pas juste les UX Researcher, les gens qui font des playtests, pas juste des gens qui font de l’UX Design, de l’ergonomie mais tout le monde ! Les Game designer, les ingénieurs, les artistes parce qu’encore une fois ce qui est important c’est de changer de perspective, d’avoir ce clic, et au lieu de réfléchir à comment on va développer un jeu par rapport à notre perspective de créateur et créatrice, il faut se mettre dans la peau des personnes qui vont jouer pour s’assurer que ces personnes-là vont avoir l’expérience qu’on souhaite pour elles !

 

OLIVIER : Super. Merci beaucoup, Celia pour ce temps que tu nous as accordé.

 


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