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Accessibilité Podcast | Expériences Digitales #4 avec Amélie Boucher, consultante UX

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Accessibilité Podcast | Expériences Digitales #4 avec Amélie Boucher, consultante UX

📄 Cet article est une version texte du dernier podcast “Expériences Digitales #4” mené avec Amélie Boucher, consultante UX et fondatrice de l’agence l’UX sur le gâteau. Bonne lecture

Olivier Sauvage |

Bonjour et bienvenue sur Expériences digitales, 4ème épisode.

Expériences digitales, le podcast de l’expérience digitale sous toutes ses coutures.

Je me présente : je suis Olivier Sauvage, directeur de l’agence UX Wexperience et aujourd’hui comme d’habitude nous allons non seulement parler d’expérience digitale mais aussi d’UX, de e-commerce, de design éthique, d’accessibilité… et pour cela, j’ai invité une véritable personnalité du digital depuis 13 ans, l’auteure de Ergonomie web et UX Design, dont la quatrième édition vient de sortir chez Eyrolles, et que vous pouvez retrouver dès maintenant chez votre libraire préféré. J’ai nommé la très experte et très reconnue Amélie Boucher.

Expériences digitales, c’est maintenant, tout de suite.

Bonjour Amélie !

Amélie Boucher |

Bonjour Olivier !

Olivier Sauvage |

Tu vas bien ?

Amélie Boucher |

Très bien, merci ! Je suis très contente d’être là avec toi ce matin.

Olivier Sauvage |

Moi aussi, c’est réciproque, c’est génial. 

Hé bien Amélie, bienvenue donc dans ce cinquième épisode de Expériences Digitales. 

Alors avant de commencer je vais faire comme d’habitude une petite présentation de ta personne, petite biographie pour que les gens puissent situer qui tu es, même si je sais que tu es quand même assez connue sur la place de l’UX. 

Tu as commencé par faire des études : tu as obtenu un DESS d’Ergonomie à Paris Descartes. Ensuite tu as rejoint l’agence qui s’appelait Altima à l’époque – qui est devenue Accenture Interactive – de 2007 à 2011, où tu as été directrice de l’UX. Ensuite tu as occupé le rôle de directrice de l’UX à nouveau, mais chez Viadeo, pendant 4 ans. 

Et puis tu as finalement décidé de faire ce que beaucoup de gens font dans ce domaine là, tu t’es lancée en indépendante et tu as fondé ta propre agence d’UX : l’UX sur le gâteau.

Amélie Boucher |

Tout à fait !

Olivier Sauvage |

Et puis à côté de ça et ce n’est pas la moindre des choses, tu es aussi professeur d’ergonomie à l’Ecole Centrale de Lille. Et puis surtout – et nous c’est comme ça qu’on a fait connaissance, tu es aussi l’auteure de Ergonomie web & UX Design et je crois que là c’est la quatrième édition qui sort, toujours aux éditions Eyrolles. Quatrième édition, après d’ailleurs 13 ans de distance entre la première et la quatrième édition. 

On va commencer d’ailleurs tout de suite par ça : pourquoi tu as sorti une nouvelle édition de Ergonomie web & UX Design, qu’est-ce qui t’a poussée à faire cette nouvelle version ? 

Amélie Boucher |

Je crois que tu viens tout simplement de souligner le plus important : 13 ans ! C’est juste énorme, dans le monde de la littérature technique en tout cas. La dernière édition datait de 2011, donc ça faisait déjà 9 ans. Il était plus que temps de rafraîchir l’ouvrage, donc les dates parlent pour moi. 

C’est un ouvrage assez généraliste, donc ça veut dire que c’est un livre de fond. Dedans il y a des connaissances fondamentales : les principes, les règles d’ergonomie. Il y a aussi des choses méthodologiques : comment on met en œuvre les démarches de connaissance utilisateur, de conception. Et tout ça, bien que ça n’ait pas fondamentalement changé, en effet aujourd’hui quand on ouvre le livre on voit des sites et des applis d’aujourd’hui, ce qui n’était plus le cas parce que ça vieillit vite, les interfaces

Olivier Sauvage |

Justement, entre 2011 et 2020, et je ne sais plus à quelle date est sortie la première édition, en 2007 peut-être [Amélie acquiesce], il y a quand même beaucoup de choses qui ont changé. 

Est-ce que déjà de manière un petit peu rapide tu peux nous dire grosso modo ce qui a vraiment changé, ce qui a vraiment radicalement changé en fait pendant ces quelques années ?

Amélie Boucher |

Oui. C’est intéressant ce mot de radical, parce qu’on peut se dire que en effet, tout a changé. L’internet d’aujourd’hui – au sens large j’entends – ne ressemble pas du tout à celui de 2007. 

En termes de discipline non plus : c’est un domaine qui a complètement explosé. À l’époque en France – on a commencé ensemble – c’était quasiment une niche. On a commencé au moment où personne n’en parlait, il fallait expliquer en fait ce que c’était cette discipline, à quoi ça servait. 

Aujourd’hui c’est l’inverse : on ne parle QUE d’UX. Et ce qui est intéressant, c’est que ça suit la trajectoire des usages : on est aussi dans une société qui est simplement beaucoup plus digitalisée aujourd’hui qu’à l’époque.

Olivier Sauvage |

Oui, on le voit notamment avec… ce qui a vraiment fait exploser les usages, c’est le mobile.

Amélie Boucher |

Oui, complètement.

Olivier Sauvage |

Qui a en fait généralisé l’accès d’Internet à toute la population.

Amélie Boucher |

Ça donne des usages beaucoup plus grand public, des usages aussi beaucoup plus inter-générationnels. On n’a pas attendu le mobile nous en tant qu’adultes pour être derrière des ordinateurs toute la journée, ça ne date pas de quelques années, ça date déjà d’il y a un moment. En revanche, voir des enfants dès tout-petits devenir très rapidement experts des interfaces homme-machine, ça c’est nouveau et ça fait un vrai fossé générationnel. Et c’est en ça que je dis que tout a changé.

Après, j’aurais aussi envie de dire que rien n’a changé ! C’est un peu paradoxal, je ne sais pas ce que tu en penses, mais on est encore vraiment loin du compte.

Olivier Sauvage |

Qu’est-ce que tu veux dire par “on est encore loin du compte” ?

Amélie Boucher |

Bah ! C’est pas parce qu’on parle beaucoup d’UX – on ne parle que de ça, c’est infernal ! C’est pas parce qu’on en parle beaucoup que les choses ont vraiment diamétralement changé pour les utilisateurs. 

Si tu penses au nombre de fois où on grogne sur un outil numérique, une appli, un truc à écran, ben tout est dit quoi ! On grogne encore beaucoup, peut-être même encore plus qu’avant. 

Olivier Sauvage |

Est-ce que tu dirais que c’est plus facile aujourd’hui, plus difficile ? Est-ce que c’est pareil ? Comment tu crois que pour les gens aujourd’hui (que ce soit pour des gens qui travaillent dans un bureau ou que ce soit pour des particuliers), est-ce que c’est plus facile ?

Parce que effectivement on sait que l’UX est devenu un métier très recherché, on parle beaucoup d’UX Design c’est vrai un peu partout, peut-être un peu à tort et à travers parfois, mais est-ce que finalement tout ce déploiement massif de moyens et de gens qui travaillent sur l’UX ont rendu les choses plus faciles ou… J’ai l’impression à t’écouter que c’est pas tellement plus facile finalement qu’il y a quelques années.

Amélie Boucher |

Ben je crois que c’est plus difficile, en fait. Je crois que c’est plus difficile parce qu’on est plus sur écran : il y a énormément d’usages qui ne peuvent plus se faire ailleurs que sur écran. Ça change beaucoup la donne. Pense à la déclaration des impôts : il y a encore quelques années, il était tout à fait possible de faire autrement. Aujourd’hui ça devient extrêmement compliqué. Donc le volume de temps passé sur ordinateur, sur mobile, enfin sur écran fait que oui, naturellement, ça peut être plus compliqué. 

Et je crois que ça a l’air moins compliqué, mais en surface. Quand tu regardes les outils d’aujourd’hui, oui clairement tu compares des interfaces d’il y a quelques années et de maintenant, ça a l’air plus propre, ça paraît peut-être mieux rangé, on utilise des outils de bibliothèques, de templates, on diffuse aussi beaucoup des bonnes pratiques, on est meilleurs en tant que professionnels, on arrive on va dire graduellement à éviter des erreurs d’utilisabilité un peu grossières qui avant étaient monnaie courante. 

Mais dès que tu grattes un peu la surface, et moi je le fais tous les jours en tant qu’expert et en tant qu’utilisateur, c’est quand même encore souvent la cata !

Olivier Sauvage |

D’accord… [rires] Tu veux dire que malgré tous les efforts qu’on fait pour faire des beaux sites et des belles applications, ça reste compliqué, mais qu’est-ce que tu veux dire par “cata” : ça veut dire que finalement… il y a quand même de plus en plus de gens qui sont formés à ces métiers de l’UX, il y a de plus en plus d’entreprises qui font appels à des UX designers, je peux en témoigner à titre personnel, mais comment tu peux expliquer que même s’il y a une progression qui s’est faite, tu dis que c’est la cata ? 

Est-ce que c’est la complexité, la multiplicité des fonctionnalités qui font qu’on reste quand même dans un monde complexe à utiliser ? (enfin quand je parle d’un monde complexe je parle du monde digital).

Amélie Boucher |

Il y a ça et il y a tout ce qu’il y a derrière. 

C’est intéressant parce que tu as utilisé le terme de “beau”. Tu m’as dit  “malgré le fait que ce soit plus beau”. Et c’est vrai que c’est pour ça que je parle de surface : c’est que ça a l’air bien, et c’est à peu près propre, quand on clique sur un bouton ça va sur un autre écran, bon. Fonctionnellement on est ok. Mais c’est pas ce qui compte, tout ça c’est de l’habillage on va dire. 

Et c’est souvent le fond qui est compliqué : la logique d’un parcours, le fait de trouver la bonne information – et dans “bonne information” le mot de “bonne” il est hyper important. Et c’est l’expérience utilisateur au sens large en fait. C’est souvent ça qui est compliqué.

Et plus on devient experts nous en tant que professionnels, plus aussi on cherche à optimiser, et très souvent dans la majorité des cas, la performance prime sur tout. 

Olivier Sauvage |

Quand tu dis performance…

Amélie Boucher |

Business. Oui, performance business, métier… 

Enfin si tu as un abonnement à Amazon Prime et que tu essaies de t’en désinscrire, tu as envie de te tirer une balle. Non mais c’est vraiment une expérience terrible, je t’invite à le faire ou ceux qui vont nous écouter à le faire. Parce que c’est hyper intéressant en termes de pédagogie : de décortiquer ce genre de parcours et de se dire “qu’est-ce qu’on essaie de me faire faire ?”. 

Je clique sur un bouton pour me désinscrire. J’arrive sur un écran qui me dit “Est-ce que t’es bien sûr de vouloir te désinscrire ?” et le message est dans l’autre sens, et les couleurs des boutons sont inversées par rapport au modèle mental que tu pourrais avoir d’une interface classique. On essaie de te faire cliquer sur le bouton sur lequel tu n’as pas envie de cliquer quoi. Et bon ça c’est un exemple assez grand public, facile, mais ce sont des choses que l’on retrouve sur énormément d’interfaces. 

Et dès qu’on penche justement sur le côté professionnel, logiciel, on a là affaire à des complexités fonctionnelles qui sont parfois folles, qui font que c’est un exercice difficile de travailler sur l’UX de telles plateformes. Donc non on est loin d’avoir résolu l’entièreté des choses, et tant mieux ! 

Olivier Sauvage |

Oui parce que ça laisse des choses à faire pour des gens comme nous qui travaillons dans l’UX Design. 

Tu as parlé d’Amazon. ça tombe bien parce que je voulais qu’on parle d’e-commerce et d’UX dans ce podcast. Alors ça semble évident de dire qu’aujourd’hui l’UX c’est quelque chose d’important pour bien faire du commerce en ligne. Et tu as aussi évoqué un autre sujet à propos d’Amazon, tu n’as pas utilisé le mot Dark pattern mais on y reviendra un peu après avec l’ethic design.

Mais est-ce que aujourd’hui avec le confinement, la crise du Covid, le fait que les français passent de plus en plus de temps sur les interfaces et de plus en plus de temps à commander en ligne, est-ce que l’UX Design prend encore plus d’importance ? Est-ce qu’à ton avis aujourd’hui ça devient un enjeu encore plus prépondérant que ça ne l’était auparavant ?

Amélie Boucher |

Ben… oui évidemment, mais comme cette crise elle rend plus essentielle à peu près tout ce qui compte, donc ça n’est pas réservé à l’ergonomie ou à l’UX Design. 

Ça nous force à aller plus vite sur des fondamentaux. En e-commerce par exemple le conseil en ligne. Tiens : je suis allée acheter des arbres (à un moment où on avait le droit de sortir). J’avais passé je sais pas, mille heures sur Internet à me renseigner : alors c’est quoi l’arbre qu’il me faut, etc. J’arrivais tout bien préparée avec ma petite liste et tout. Et en fait pas du tout, je suis sortie avec pas du tout ce que j’avais prévu de prendre, juste parce que j’ai été conseillée par quelqu’un. Cette crise-là, elle rend la transposition de ce genre d’usages en ligne essentielle. On n’y arrive pas encore, mais ça commence à bouger. 

On se rend bien compte que ce qui marche extrêmement bien en ligne, c’est quand on a une interaction avec un humain. Alors c’est d’une tristesse insondable, mais c’est une vérité. Il y a énormément d’usages dans lesquels on a besoin de l’autre. Et l’autre dans plein de cas, ça ne peut pas être juste une machine.

Olivier Sauvage |

Et alors est-ce que ça veut dire que quand on est UX Designer et qu’on travaille pour une entreprise qui fait de la vente en ligne, que ce soit des produits de détail pourquoi pas (quand tu disais “arbres” moi je pensais à “sapin” puisqu’on est proche de Noël)… mais est-ce que ça veut dire que non seulement l’UX Designer doit penser à optimiser les parcours digitaux mais est-ce que du coup il doit intégrer dans sa réflexion la partie physique ? 

Parce que c’est ce que tu disais, et je pense que tout le monde a vécu cette expérience assez désagréable de passer beaucoup de temps sur Internet à chercher des infos, d’être persuadé d’avoir trouvé le Graal et puis finalement de se rendre compte une fois qu’on est en magasin que finalement non, qu’on n’avait pas trouvé, qu’on n’avait rien compris, que c’était compliqué.

Est-ce que donc aujourd’hui le rôle de l’UX c’est de penser – j’aime pas trop ce terme parce qu’il n’est pas très joli, mais de penser omnicanal ? On parle aussi d’ailleurs de plus en plus de commerce unifié. Est-ce que ça veut dire que quand on est UX Designer, on doit se poser toutes les questions qui vont au-delà de simplement du travail des interfaces ?

Amélie Boucher |

Evidemment. Evidemment. Après, c’est pas un boulot qu’on fait tout seul dans notre coin. Il n’y pas un UX Designer qui travaille tout seul sur l’entièreté d’un écosystème, et d’autant moins qu’il travaille sur des choses d’ampleur. Mais oui évidemment, on ne peut pas… c’est intéressant parce que dès qu’on se dit qu’on travaille de façon centrée utilisateur, on a parfois tendance à oublier, bêtement, et c’est paradoxal, mais de se mettre à la place de cet utilisateur. Et l’interface ça n’est qu’un moyen d’accéder à des informations ou à des services qui font partie d’un tout. 

Donc un vrai utilisateur, un vrai gens, qui est sur votre site e-commerce, puisque tu prends cet exemple, lui ça n’est qu’une étape, un bout de son usage. Et il ne fait pas la différence…. enfin ce qu’il cherche c’est à atteindre son objectif. S’il peut l’atteindre via le site Internet tant mieux, s’il doit faire autrement il fera autrement. Et notre métier c’est de penser à tout ça, à toute cette chaîne-là. Et à comment on peut l’aider au mieux, à chaque moment d’interaction, selon son besoin et selon ce que nous on a à lui proposer.

Olivier Sauvage |

Ça me fait dire une chose d’ailleurs : est-ce que ça veut dire qu’un site, une interface, une application qui est mal faite peut finalement détourner complètement un utilisateur d’un commerce ou d’une entreprise ? 

Par exemple… Amazon c’est pas un bon exemple mais si demain je vais acheter des carottes sur un site qui vend des produits locaux et que l’expérience est vraiment très mauvaise, que je ne me sens pas à l’aise avec l’interface, que je ne trouve pas mes produits etc., est-ce que c’est rédhibitoire ou est-ce que les gens s’accrochent quand même ? Comment ça se passe dans ce cas-là ?

Amélie Boucher |

Il est intéressant ton exemple des carottes [rires]. Je vais te dire pourquoi : il est intéressant, parce que tu peux trouver des carottes à plein d’autres endroits. Même des carottes locales. Donc il y a pas un seul endroit, un seul service qui va te permettre d’acheter ces fameuses carottes, ou des carottes. 

Et cette notion de concurrence, elle est fondamentale. Et le fait que l’UX ou le design d’expérience puisse être un facteur différenciant, c’est précisément particulièrement vrai dans les domaines dans lesquels la concurrence est rude. Parce que je ne vais même pas me poser de question : c’est trop compliqué, je vais acheter mes carottes ailleurs.
Ou dans cet exemple en particulier, très intéressant, ben tu n’achètes pas de carottes. Et tu vas pas en mourir, c’est pas grave. Donc il y a la notion de concurrence et puis il y a la notion d’importance de l’achat si on parle d’e-commerce, ou de l’usage au sens plus large.

Olivier Sauvage |

Ce qui veut dire qu’en fait… moi je pensais à l’exemple des petits commerçants, qu’on a beaucoup sollicités pour faire de l’e-commerce pendant le confinement, qui dure toujours d’ailleurs. Moi je me faisais souvent la réflexion “D’accord, mais si je suis un petit commerçant, qui vend les mêmes produits que ceux qu’on va trouver sur Amazon, quel est l’intérêt d’aller faire un site de vente en ligne sachant qu’en face de moi j’ai des concurrents beaucoup plus forts et qui sont déjà experts en UX, qui offrent déjà des expériences utilisateur… parce qu’une des grandes forces d’Amazon, c’est quand même d’offrir des parcours très très fluides (alors même si tu as cité l’exemple contraire tout à l’heure avec le désabonnement à Prime… on va y revenir sur les dark patterns et le design éthique !).

Est-ce que ça veut dire que tu penses que… moi j’ai l’impression que beaucoup d’entreprises n’ont pas suffisamment conscience de ça. Elles n’ont pas suffisamment conscience que si elles n’offrent pas des interactions simples, intuitives, faciles, qui sont dans les usages, finalement elles perdent assez facilement des clients. 

Amélie Boucher |

Oui, ben parce qu’elles n’ont rien compris ! [rires] Non mais en vrai, tout dépend de l’activité initiale, centrale. Et puis il y a aussi des stades de maturité d’une boîte, qui fait que… et selon ce qu’elle fait aussi, des moments clés où c’est plus ou moins important.

Evidemment, tu me poses la question à moi, je vais forcément te dire : c’est capital, tout le temps, dès le début, et ça fait la différence ! En réalité c’est quand même plus ou moins grave selon le contexte, vraiment.

Olivier Sauvage |

Est-ce que par exemple si je débute sur Internet, est-ce que j’ai besoin de mettre le paquet sur l’UX ? Mettons que je lance un site de e-commerce, que je suis une entreprise assez importante, bon maintenant la plupart des entreprises ont déjà un site de vente en ligne, mais même si c’est pas le cas, est-ce que l’UX est primordiale tout de suite, ou est-ce qu’il faut justement atteindre un certain stade de maturité digitale ?

Amélie Boucher |

Beh non, je crois qu’on peut commencer dès le départ, ça dépend aussi un peu de comment on est câblé. Et ça dépend vraiment beaucoup du business : qu’est-ce qu’on fait ? Si on ne parle que de l’e-commerce c’est un petit peu facile. Mais ça revient quand même à se demander : quels sont mes canaux de distribution ? Est-ce que c’est que Internet ou est-ce que je distribue ailleurs ? Ça change tout, déjà. Est-ce que… j’en sais rien : mon plombier voulait refaire son site. Mais en fait il n’a pas besoin d’un site Internet : tu veux changer ton robinet, c’est l’année prochaine, les mecs sont surchargés, ils n’arrivent pas à trouver de confrères, donc ils ont pas besoin en fait. Et c’est pas grave, et je n’oserai jamais lui vendre une prestation d’UX pour lui faire son site Internet, ce serait indécent [rires]. 

Olivier Sauvage |

Mais ça c’est vraiment très intéressant de voir que la solution… peut-être qu’on s’éloigne un peu du sujet mais pas tant que ça… finalement on est pas obligé systématiquement d’appliquer des recettes toutes faites : c’est pas parce que je suis une entreprise que je suis obligé d’avoir un site de e-commerce si ça ne s’inscrit pas dans le bon contexte, c’est ça que tu es en train de dire ? Quand tu dis le plombier il a pas besoin d’un site Internet, alors je sais pas s’il n’en a pas besoin, mais en tout cas il n’a pas besoin d’un site de e-commerce, ça semble évident. 

Mais je trouve que cette notion elle est extrêmement importante : l’utilité réelle, moi j’appelle ça un produit, d’un site ou d’une application. Est-ce que tu es d’accord avec ça?

Amélie Boucher |

Complètement, oui oui, je te rejoins.

Olivier Sauvage |

Est-ce qu’il faut… Moi j’ai vu beaucoup de startups (j’en ai vu quelques unes en tout cas) qui se lançaient dans un projet avec une idée formidable en disant : “tiens, je vais faire une application qui va résoudre tel problème”, et puis finalement elles ont juste oublié de regarder en amont s’il y avait vraiment un besoin ou si ça répondait vraiment à une question des utilisateurs.

Donc j’ai l’impression que souvent cette dimension de l’utilité finale elle est un peu mise de côté et que les gens ont tendance à dire “tiens on va faire du digital parce qu’il faut faire du digital”. 

Amélie Boucher |

Ah mais on va pas se voiler la face : on est dans un domaine où on a envie surtout de nous faire plaisir à nous-mêmes. Moi les équipes, les clients, les confrères que je rencontre, c’est le grand kif pour tout le monde : on met en oeuvre telle et telle méthode, on est tellement agiles, on a les meilleurs du domaine, c’est trop super, on pond un truc en 3 mois on est trop forts. On est pseudo centré utilisateur parce que c’est la mode et que voilà on trouve l’idée plutôt intéressante, mais en fait rien du tout. Et ouais on se fait plaisir à nous-mêmes. Alors c’est pas dramatique, parce que encore une fois personne n’en meurt. Mais c’est pas un très bon signe pour un secteur qui pourrait être un peu plus en effet à l’écoute des gens et de leurs problèmes. 

C’est le grand truc des designers : tu ne peux pas parler à un designer aujourd’hui sans qu’il te dise : “moi mon job c’est de résoudre des problèmes”. Et en fait en réalité quand tu regardes bien, on essaie surtout d’inventer les problèmes que pourraient avoir les utilisateurs. Parfois ça marche, parfois ça marche pas. Mais évidemment que c’est pas le rôle du designer tout seul dans son coin de se dire “alors, qu’est-ce que l’utilisateur pourrait bien avoir comme problème”, et même aller observer, interviewer, ne répond pas ou que partiellement à cette question. 

Olivier Sauvage |

C’est même une des bases de l’UX Design, justement de s’interroger vraiment sur le besoin utilisateur. Et ce que tu es en train de dire c’est que les designers des fois inventent des problèmes pour se faire plaisir, au final.

Amélie Boucher |

Je crois. Ça veut pas dire que les gens n’en ont pas. Mais comme on a dit à des pelletées d’UX designers à l’école que leur travail c’était de résoudre des problèmes, ils cherchent des problèmes. 

Et c’est vrai qu’on est meilleur, on est plus performant en tant qu’UX designer quand on résout ces points de douleur, les frictions, cognitives ou plus larges. Mais ça devient un espèce de hobby pour designer, je trouve que… 

Et dans le secteur digital au sens large, le recours à des méthodes de design, tout ce qui est de l’ordre de l’intelligence collective est ultra sur-côté, enfin ça devient complètement délirant. Quand je parle de mon travail à des amis, ils rient. Parce qu’on dirait l’école maternelle au travail. 

Alors ça veut pas dire qu’on peut pas parfois sortir des choses intéressantes, j’ose espérer qu’on ne travaille pas pour rien, mais moi ce qui m’effraie c’est le paradoxe entre ce qu’on raconte, cette histoire là, ces méthodes, les projets et puis les produits qui sortent. Et un nombre incalculable de fois, j’arrive dans une équipe que je connais pas, les gens me disent “attends mais là on a fait un truc génial, on a travaillé pendant tant de temps, tous ensemble, en utilisant telle et telle méthode, c’était vraiment hyper intéressant, tout le monde est ravi, génial”. Et tu regardes le truc, c’est catastrophique. 

On ne s’intéresse plus vraiment à la qualité du produit, mais à comment ça s’est passé pour le produire. Et on a le droit, hein. Mais il faut quand même qu’à la sortie on sorte quelque chose de quali.

Olivier Sauvage |

Ce que je comprends, c’est qu’il peut y avoir des dérives dans l’UX Design qui consistent à plus penser à réussir la méthode que réussir le projet en fait, qui serait un des dangers de l’UX Design en fait, dans la conception de parcours utilisateurs.

Amélie Boucher |

Oui.

Olivier Sauvage |

On va passer à un autre sujet, plus généraliste cette fois-ci, on va parler d’accessibilité. Alors je crois qu’il y a 2 ans une loi est passée pour imposer et rendre tous les médias digitaux des entreprises privées accessibles. 

Alors l’accessibilité, est-ce que tu peux expliquer pour nous ce que c’est, Amélie, parce que je crois que c’est un terme qui est un peu ambigu en français, contrairement à l’anglais où on le différencie plus facilement. L’accessibilité c’est quoi concrètement ?

Amélie Boucher |

Oui, et puis sans doute chacun en a sa petite définition, mais globalement dans les grands traits ça a pour objectif de permettre à chacun d’utiliser un produit ou un service quels que soient son contexte d’usage ou ses caractéristiques intrinsèques. Donc en gros ça revient à prendre en compte tous les usagers dans leur extrême diversité.

Olivier Sauvage |

Oui, et là on va commencer à parler des personnes déficientes visuellement, des personnes handicapées, etc.

Amélie Boucher |

Oui, mais moi ce qui m’intéresse c’est que toi tu peux être déficient visuel si tu utilises ton mobile en plein soleil ou…. c’est-à-dire que tout est affaire de contexte en fait. 

Et c’est pour ça que je disais “dans leur extrême diversité”, parce que tu as tes caractéristiques intrinsèques, qui te définissent et définissent tes capacités, ce que tu es capable de faire ou pas – de voir, dans ce cas-là ; et puis il y a les caractéristiques extrinsèques, qui te mettent en difficulté. Et en fait du coup ça concerne tout le monde.

Olivier Sauvage |

Ce qui veut dire qu’en fait on peut considérer que les gens ont tous leurs caractéristiques propres, et qu’en fonction du contexte ils auront plus ou moins de facilité ou de difficulté à utiliser une interface. 

Mais est-ce que tu trouves quand même qu’aujourd’hui… on va dire que je connais un peu la réponse, mais je voudrais savoir ton opinion sur le fait qu’aujourd’hui on ne prête pas assez attention à toute cette diversité qui existe au sein de la communauté humaine.

On parle aussi beaucoup d’inclusivité, et je ne sais pas quel impact ça peut avoir directement sur la conception d’interfaces, mais si on parle aussi des handicaps etc., on sait qu’on a en France je crois 15% de la population qui souffre de déficiences plus ou moins fortes, quel est ton sentiment par rapport à la prise en compte de ces utilisateurs-là justement : est-ce que tu penses qu’on prend assez en compte leurs problématiques par rapport à des contextes donnés, ou il y a beaucoup de progrès à faire encore, et est-ce que c’est important de le faire ?

Amélie Boucher |

Ben est-ce que c’est important c’est même pas une vraie question, enfin tu ne peux pas me la poser à moi ! [rires] Oui, bien sûr, évidemment. Mais tout le monde s’en fout. 

Alors je grossis un peu le trait mais il y a le discours et les faits. Entre dire “oui oui, c’est très important” et puis en effet mettre en œuvre ce qu’il faut pour le prendre en compte, il y a un énorme fossé.

Et puis il y a quand même un manque de connaissances qui est parfois critique chez les professionnels du web.

Olivier Sauvage |

Chez les designers tu veux dire ?

Amélie Boucher |

Non non, dans tous les métiers du web, chez tous les professionnels. 

Et puis il y a un sujet sur la formation. Chaque personne qui travaille dans le web devrait avoir un espèce de socle de connaissances commun sur le sujet, et c’est pas le cas aujourd’hui. Et surtout certains n’en voient pas du tout l’utilité, ils ont l’impression de ne pas être concernés. 

Tu vois en ce moment je travaille avec Opquast, je sais pas si tu connais : la certification qualité des métiers du web. Ben c’est juste essentiel, c’est presque d’utilité publique en fait. Et ça prend de plus en plus d’ampleur, le projet est formidable et marche très bien, mais il y a encore énormément de travail de pédagogie à faire. Et c’est une étape qu’on pourrait penser avoir dépassée. C’est pas le cas.

Olivier Sauvage |

Autre sujet. On vit dans un monde de plus en plus digitalisé (ou numérisé, ça dépend de quel point de vue on se place), et de plus en plus on parle aussi de détox digitale, ou de digital durable, ou de low tech. Quel est le rôle de l’UX là-dedans ? 

Est-ce que en tant qu’ergonome on a un rôle à jouer là-dedans, dans ces aspects de créer des interfaces qui soient peut-être plus reposantes pour les utilisateurs ça je pense que oui, mais surtout sur la partie développement durable et impact sur l’environnement, est-ce qu’en ergonomie ou en UX Design on a un rôle à jouer là-dedans ou pas ?

Amélie Boucher |

Certainement. Evidemment. Mais c’est pas un rôle qui se joue seul. 

Olivier Sauvage |

C’est-à-dire ?

Amélie Boucher |

Ben… le gentil petit UX Designer qui essaie d’avoir un impact, de faire une bonne action en designant un bouton qui soit je sais pas, moins gourmand en ressources, c’est comme éteindre la lumière en sortant de la pièce. C’est souhaitable, il faut le faire, c’est louable. Mais si tu es tout seul à le faire ça suffit pas. C’est une préoccupation collective.

Olivier Sauvage |

Donc ça veut dire que – moi je parle toujours au niveau des entreprises bien sûr, mais ça peut être aussi au niveau des institutions publiques, on est bien d’accord ; ça veut dire que dans le design, si on commence à se préoccuper de développement durable, d’environnement, ça doit venir d’en haut, finalement, c’est pas juste le designer tout seul dans son coin qui va changer les choses.

Amélie Boucher |

C’est pas ce que je dis hein. Non, je dis que on a tous un rôle à jouer et il faut y être tous ensemble. Non, parce que avec un discours un peu comme ça, personne ne fait jamais rien. Donc non, c’est pas parce qu’on me donne l’ordre de faire un bouton moins gourmand que je vais le faire. C’est parce que c’est quelque chose qui m’anime et dans lequel je crois. Et si on est plus nombreux à y croire, ça marchera mieux. C’est plutôt ça. C’est plutôt l’idée de quelque chose de collectif.

Olivier Sauvage |

Oui, il faudrait qu’on baigne tous dans un bain “développement durable” et qu’on y pense tous en permanence quand on conçoit des projets en fait.

Amélie Boucher |

Oui. Ben tu éteins la lumière quand tu sors d’une pièce, non ? 

Olivier Sauvage |

Oui, moi je le fais parce que ma mère me disait toujours “C’est pas Versailles ici !” [rires].

Fin Septembre 2020, il y avait un événement en France mais qui se tient à travers le monde aussi, c’est l’événement Ethics by Design, un événement soutenu par un collectif de designers qui s’appelle les Designers Éthiques, et qui veulent introduire des règles de bonne conduite dans la conception d’interfaces. Donc on retourne à notre fameux sujet de désabonnement.

Qu’est-ce que tu peux nous en dire, de ça ? Quelle est ton opinion, justement, sur cette approche éthique du design ? C’est-à-dire, comment on peut introduire des notions d’éthique pour des designers sans être soumis à la pression de l’entreprise, parce qu’elle est quand même très très forte ? Quel est le rôle à jouer là-dedans des ergonomes, concrètement ?

Amélie Boucher |

Bon, d’abord c’est formidable dans la démarche. Enfin je partage le point de vue. Qui pourrait ne pas le partager, en tout cas dire qu’il ne le partage pas, ce qui est encore un peu différent. C’est aligné avec l’époque en fait, c’est aligné avec une certaine manière de voir le monde, qu’on est de plus en plus nombreux à partager. Donc ça c’est pour le fond. Mais ça c’est MON point de vue, en tant qu’individu.

Et ce que je trouve important de dire, qu’on entend pas souvent, c’est que vouloir aussi promouvoir un design soi-disant éthique, ça peut aussi être très dangereux. Je m’explique. 

À date j’ai l’impression que ce que les designers ont trouvé pour faire du design éthique, c’est en gros, si je grossis le trait, de choisir de bosser dans des entreprises ou pour des organisations qu’on dit éthiques. Et ça marche hein. Oui, si je bosse pour la Croix Rouge, ou pour les Restos du cœur, ben je vais être un designer éthique. Bon idem je prends des exemples extrêmes mais ça peut être dans une moindre mesure. 

Ça marche parce que du coup c’est un choix de vie que je fais : je décide d’aller travailler dans tel endroit parce qu’il correspond à mes valeurs. Et donc j’espère qu’on me demandera pas de faire des choses dégueulasses. Et c’est très bien pour les gens qui y parviennent, mais c’est aussi dangereux parce que ça met à mal des milliers de designers. Ceux qui ne peuvent pas, qui n’arrivent pas à trouver un endroit où travailler qui corresponde à leurs valeurs, comment ils font ? 

Prenons un exemple. On parlait d’Amazon tout à l’heure, c’est un bon exemple d’ailleurs tu as raison, de dark pattern. Mais on baigne dedans tout le temps hein. Un exemple gros : imagine tu bosses pour Netflix… et c’est toujours lié aux objectifs business de l’entreprise ces dark patterns, vraiment. Si tu bosses pour Netflix, l’objectif de l’entreprise pour laquelle tu bosses c’est que ses clients consomment du contenu. Et consomment toujours plus. Ce sera jamais assez. Donc – je ne sais pas si tu es utilisateur mais ça doit être la même chose sur à peu près toutes les plateformes, quand un utilisateur vient de terminer disons une saison d’une série, ben même pas il a vu une demi-ligne du générique, paf ! on lui lance le premier épisode de la saison suivante [Olivier acquiesce]. 

Tu ris hein, ouais ça sent le vécu. Bref, t’as pas de répit. 

En tant qu’être humain, tu as envie de vomir de la série tellement on t’incite à… et… alors c’est très malin, bien sûr ça se base sur plein de ressorts psychologiques, et c’est une tension qui peut d’ailleurs être tout à fait intéressante. Mais bon, en tout cas, le design au sens large de Netflix est fait pour ne pas avoir de répit et donc inciter ses clients à consommer toujours plus de contenu. 

Donc par rapport à ta question : on peut justement se poser la question de : est-ce que tu es un mauvais designer si tu fais partie de l’équipe qui a fait ça ?

Olivier Sauvage |

C’est exactement la question que je pose en fait. Comment on se retrouve là-dedans.

Amélie Boucher |

Et l’impact il est majeur sur les utilisateurs. Il est catastrophique, de mon point de vue. C’est horrible. Mais ce que je récuse dans le terme de “designer éthique”, c’est l’injonction à être un bon designer. Tu vois c’est hyper paternaliste en fait. D’ailleurs rien que le fait de mettre “éthique” après le nom d’un métier, c’est …. alors “design éthique”, ok, mais “designer éthique” ? Ça voudrait dire qu’il y en a qui sont pas éthiques ? Enfin c’est juste horrible. Et puis ça oublie que le designer ne travaille jamais seul en fait. Il n’est jamais seul. [Olivier acquiesce]

Olivier Sauvage |

Après, est-ce que l’éthique c’est pas aussi quand je suis, quand je travaille dans une entreprise, et Netflix c’est un très bon exemple, on pourrait aussi citer toutes les interfaces de réseaux sociaux où le but c’est d’inciter l’utilisateur à revenir en permanence malgré lui… parce que c’est un peu ce qui se passe et on est tous victimes de ça, sauf les plus forts d’entre nous…

… mais est-ce qu’être éthique c’est pas non plus en tant que designer parfois alerter l’équipe avec laquelle on travaille en disant “bon ok, on peut mettre en place ce processus hautement addictif pour nos utilisateurs, certes ça va dans le sens de l’entreprise mais est-ce que ça correspond à des valeurs humaines, qui sont pas forcément contradictoires avec le résultat de l’entreprise” ?

C’est vrai qu’on est souvent placés dans un dilemme…. mais… je sais plus quelle était ma question finalement !

[rires] 

Amélie Boucher |

Je t’ai compris. 

Et je crois qu’en effet ce qui est important dans ce que tu dis… Enfin il y a deux choses : la première chose très importante, c’est le fait d’être en conscience de ce qui se passe. Le fait de voir. Et… alors l’exemple de Netflix : un utilisateur lui-même peut voir. C’est insupportable. Mais il y a plein d’autres exemples dans lesquels c’est beaucoup plus tordu. Et il faut un peu être du métier pour se rendre compte des arcanes en fait. Et du coup le fait d’être en conscience joue beaucoup. Et après il y a la mise en actes ou en paroles.

Et en effet pouvoir prendre position, ce que tu disais : poser la question, interroger ses collègues, c’est hyper important, refuser quand on n’est pas d’accord, émettre une opinion, s’offusquer, parfois. Et ça il faut le faire, bien sûr. 

Mais moi dans mon quotidien (je fais beaucoup de coaching d’équipes UX), j’en vois beaucoup des designers qui sont en lutte perpétuelle avec leurs patrons, en lutte avec le monde en fait. Et qui s’épuisent totalement, et ça m’inquiète beaucoup, c’est compliqué… je suis toujours à deux doigts de les envoyer chez le psy. 

En vrai ça m’inquiète énormément pour toute une communauté, parce qu’il faut savoir mettre des gradations : qu’est-ce qui est grave, qu’est-ce qui est inacceptable, qu’est-ce qui est un peu plus de l’ordre du détail, qu’est-ce qui justifie peut-être de changer de boîte ? Si tu fais partie de l’équipe du processus de désinscription d’Amazon Prime, va t’en, vite ! Ok. [rires] 

Olivier Sauvage |

Bon, je ne sais pas ce que les gens d’Amazon vont penser de ça s’ils nous écoutent. Enfin je pense qu’ils en voient d’autres actuellement donc ça devrait aller.

Amélie Boucher |

Il a jamais été formidable ce process-là. Mais on arrive aujourd’hui à vraiment des choses qui donnent envie d’hurler. Parce que ta mère… [Olivier essaie d’intervenir] non, je te coupe même si Abdel a dit qu’on devait pas se couper !…

… On arrive à des choses incroyables parce que nous on les voit les dark patterns, mais ta mère c’est sûr qu’elle tombe dans le panneau. Et c’est ce qui rend la chose horrible en fait. Le fait d’avoir conscience des mécanismes sous-jacents et de ce qu’on essaie de faire faire aux utilisateurs parce que c’est notre métier, c’est sans doute ça qui rend psychologiquement la chose difficile pour les designers. Et qui leur donne envie, certainement, de s’auto-coller l’étiquette “éthique”. 

Mais il y a derrière ce mot “éthique”, que je partage hein, je partage vraiment la vision ; mais il y a derrière le mot beaucoup plus que le mot en fait. C’est un peu grandiloquent.

Olivier Sauvage |

Bon, ok. J’acte ce que tu viens de dire. 

Comme on approche de la fin de ce podcast, je vais juste terminer avec une dernière petite question : est-ce qu’il y a un site ou une application récemment qui t’a fait comme on dit “waouh”, qui t’a vraiment subjugué de par son expérience ?

Amélie Boucher |

Je m’y attendais, à cette question ! [rires]

C’est une question qu’on me pose souvent, voire LA question qu’on me pose le plus souvent. Et c’est une question à laquelle je me refuse de répondre, parce que c’est un peu comme si je disais, avec la valeur de ma parole : ben regardez cette recette, elle marche super bien, faites-la chez vous et vous allez avoir un super bon gâteau, vous serez super performant. Et en réalité, évidemment que ça ne se passe pas comme ça. 

Et ce qui m’inquiète avec ça, c’est que c’est précisément un des conseils que je donnerais aux entreprises dans le domaine du digital : c’est de s’asseoir et de réfléchir. Et d’arrêter de vouloir copier la concurrence bêtement, on va dire. Un des trucs que j’entends extrêmement souvent c’est “on va faire comme Apple”, “on va faire comme Uber, comme AirBnb”, mais jusqu’à copier le moindre détail d’interface complètement idiot. Donc on se retrouve avec des copycats de sites qui se ressemblent tous. 

Ce qui veut pas dire pas regarder les autres hein ! Ça fait partie de l’activité de design, c’est hyper important, inspirant.

Et du coup cette expérience utilisateur waouh, de dingue, l’erreur un peu facile serait de la copier stricto sensu alors que évidemment ça peut ne pas forcément convenir chez moi.

Et puis j’ose espérer tout simplement que c’est pas devant un écran qu’on fait waouh. Enfin moi la dernière fois que j’ai fait waouh c’était pas sur un écran quoi. [rires] En tout cas si c’est le cas tu vois, que ce soit plutôt waouh à propos du contenu ou du service véhiculé en fait. Le reste, on le disait tout à l’heure, c’est que de l’habillage. C’est capital, c’est mon métier, mais c’est juste de l’habillage. Si c’est transparent et que les gens font pas “waouh”, c’est qu’on a bien fait le job.

Olivier Sauvage |

C’est ça. C’est que l’UX est bien quand finalement on se rend pas compte qu’il y en a une. Ou que tout se déroule bien finalement [Amélie acquiesce]. Quelque part, elle doit s’effacer devant l’efficacité du service ou du produit.

Amélie Boucher |

Oui. C’est ça, l’UX : c’est pouvoir accéder au produit, au service qui lui peut être génial, et que du coup l’utilisateur puisse en profiter sans se dire “waouh, le parcours que je viens d’effectuer est tellement waouh !”.

Olivier Sauvage |

Très bien, bon ce sera la conclusion de ce podcast, ce sera le mot de la fin !

Amélie, je te remercie beaucoup pour avoir répondu à toutes ces questions et donné tes opinions.

Je rappelle donc que tu es l’auteure – enfin tu n’es pas QUE l’auteure, mais en tout cas tu es l’auteure de Ergonomie web & UX Design – je précise aux éditions Eyrolles, et qu’on peut trouver sur tous les bons sites de e-commerce et même si vous êtes militant sur le site de votre librairie indépendante. 

Merci de nous avoir écouté.

Vous pouvez retrouver tous nos podcasts sur Wexperience.fr/podcasts et si vous aimez aussi nos webinars vous pouvez les retrouver sur Wexperience.fr/webinars.

Merci de continuer à nous suivre et à nous liker sur les réseaux sociaux, sur Twitter, sur Linkedin. Et on se retrouve bientôt pour un prochain épisode dont je n’ai pas encore le nom de l’invité.

Amélie, merci beaucoup.

Amélie Boucher |

Merci Olivier.


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