Blog
Retour aux articlesComment fabriquer de l’émotion sur les médias digitaux ?
Partager
Catégories
Comment fabriquer de l’émotion sur les médias digitaux ?
Retours et réflexions sur la table ronde sur l’émotion au Pôle des industries du commerce
Depuis que j’ai compris l’intérêt d’utiliser les émotions dans le ecommerce, l’obsession d’en mettre partout ne m’a pas quitté. Problème : qu’est-ce qu’une émotion et comment la provoquer ?
Faut-il la faire monter progressivement jusqu’à faire atteindre à l’internaute un climax qui le fasse ensuite cliquer sur le bouton “commander” ?
Faut-il plutôt utiliser parcimonieusement les bonnes et les mauvaises émotions afin de faire vivre à l’internaute un voyage émotionnel qui le rendrait plus propice à la réception d’offres et à la prise de décision ?
Un jeu pas si simple
Jouer avec les émotions, à la suite de cette table ronde, m’est apparu encore plus compliqué qu’auparavant. En effet, comme je l’ai longtemps cru, il n’est pas nécessaire de provoquer forcément des émotions positives pour arriver à convaincre. Dixit Laurent Sparrow, de l’Université de Lille 3, “une émotion positive n’existe que s’il y a une émotion négative”. Nous sommes des êtres émotionnels et notre flux d’émotions varie en permanence. Et nous ne faisons que sentir les différences entre ces états.
Hum, voilà, qui ne me rassure guère. Tout serait donc émotion ? En fait, oui ! On savait déjà que l’on justifie nos décisions rationnellement après l’acte d’achat. Pire encore, nous sommes manipulés par les forces de notre corps qui nous font réagir même en fonction de nos expressions faciales ou de notre position. Les chercheurs parlent de “cognition incarnée”.
Pire encore, nous réagissons aux stimulis émotionnels en fonction de notre vécu, de notre passé, de notre culture. Un homme ou une femme peuvent ne pas réagir de la même manière à ce qu’ils voient. C’est évidemment très net quand il s’agit de stimuli sexuels, par exemple. Mais attention ! Il ne s’agit pas simplement de présenter de la nudité pour obtenir un assentiment positif d’un observateur, dixit Alexandre Letexier, fondateur de Perceptio Media. On peut parfois obtenir un effet contraire (comme nous l’avions déjà montré ici avec un test utilisateur mené pour ETAM) à celui escompté.
La mesure de l’émotion n’en est qu’à ses balbutiements
Quand à la mesure de l’émotion, elle a très certainement progressé, en dehors des moyens onéreux et invasifs comme les EEG ou les IRM (interdits en France pour des études marketing). On trouve maintenant des solutions simples et peu onéreuses comme Affect-tag, présentée hier par son fondateur, Olivier Janin.
Il s’agit d’un simple bracelet qui mesure le degré de sudation de la peau et détermine en temps réel l’intensité des émotions. Autrement dit, vous pouvez savoir si une personne ressent plus ou moins fortement quelque chose, mais vous ne pouvez pas savoir ce qu’elle ressent. Pour l’heure, donc, une analyse à partir de ce genre d’engin devra toujours être complétée par un questionnaire post-test.
Alors, me direz-vous, comment utiliser les émotions dans le digital ?
Je ne vais pas me lancer dans un descriptif détaillé de toute l’affaire, mais sachez quand même que les moyens sont assez limités, même si la quête à l’émotion est infinie.
Assez simplement, les émotions peuvent être provoquées par les images qui restent leur premier vecteur. Utiliser une image qui touche les visiteurs, les attendrit, les interroge ou les surprends permet de capter leur attention et de les engager. Comme je l’avais montré lors d’une conférence sur les émotions au Conext 2015, une bonne émotion donne des supers pouvoirs à l’utilisateur.
Il mémorise mieux, il est plus vif, plus sensible et plus réceptif, plus prompt à agir. C’est normal, les émotions sont faites pour ça. Comme l’a rappelé fort opportunément Laurent Sparrow lors de la table ronde, les émotions, à la base, c’est de la peur. Or, la peur nous fait réagir et utiliser toutes nos compétences pour analyser et résoudre une situation à toute vitesse. C’est l’intérêt des émotions.
Plus subtilement, les émotions peuvent être engendrées par les interactions ou la poésie des animations d’une page web. Un bouton qui change de taille quand on passe dessus provoque une mini-surprise et rend agréable la navigation. Des images qui s’affichent progressivement en fade-in créent également de l’émotion. Tout ce qui transforme les interactions avec un écran en expérience sensorielle crée de l’émotion. Ces réactions de l’écran qu’on peut inventer facilement permettent d’augmenter l’engagement et de générer une véritable affinité avec le système, voire presque de l’humaniser et mettre à profit notre empathie.
Notre humanité nous pousse à aller vers des interfaces qui nous ressemblent
Si aujourd’hui, tout le monde est à la recherche des émotions, ça n’est pas pour rien. Face au déferlement d’écrans, d’offres commerciales, de propositions de valeurs, face au choix pléthorique qui nous envahit tous les jours, nos préférences personnelles nous poussent vers des échanges avec les machines qui nous procurent du bien être. Il vaut mieux surfer sur un site simple qui réagit avec douceur à nos clics qu’un site qui nous agresse avec des animations inutiles et agressives.
Mieux que cela, arriver à simuler une personnalité à travers les réactions d’une interface permet de donner un sens à l’interaction homme machine et fidélise l’utilisateur. Je préfère largement un chatbot qui a de l’humour et sait même répondre à mes blagues qu’un chatbot qui fera des réponses polies, mais froides. C’est aussi, par exemple, pour cela qu’Amazon dépense des millions pour humaniser la voix d’Alexa qui, en quelques années, est passé de la voix froide d’un GPS à celle d’une femme agréable (soit dit en passant, on pourrait se demander pourquoi Alexa n’a pas une voix d’homme).
Les émotions vont donc permettre d’améliorer encore l’expérience utilisateur, et qui dit bonne expérience utilisateur, dit “meilleur taux de transfo” 🙂 Oui, je sais que c’est bassement mercantile, mais c’est aussi pour cela que nous concevons.
L’utilisation des émotions dans le digital est amené à un grand avenir
Toutefois, le travail de création des émotions et de parcours utilisateurs/clients émotionnels n’en est qu’à ses début (voir Les 4 âges de l’expérience utilisateur) et peu d’entreprises ont les moyens de se lancer dans une telle aventure. La maturité exigée pour produire des interfaces “humanisées” demande beaucoup de compétences, d’expérience, de savoir-faire et de technologie (comme l’IA et le deep-learning, et nous verrons prochainement la corrélation entre les deux). Elle demande aussi une démarche complexe de création que peu d’équipes en France savent vraiment mettre en oeuvre. Il y a donc encore du travail pour arriver à “ce Graal”, mais, avec de la volonté, on devrait y arriver et le monde des interfaces et de l’expérience utilisateur devrait en être “révolutionné” dans quelques années à peine !
Le site du Pôle des Industries du Commerce