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Biais cognitifs et dark patterns : comment le design doit contribuer au ecommerce sans se départir de son éthique

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Biais cognitifs et dark patterns : comment le design doit contribuer au ecommerce sans se départir de son éthique

Wexperience était invité par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au Ministère de l’économie). Objectif : mieux faire comprendre comment les créateurs de contenus numériques utilisent les biais cognitifs pour influer sur les actions des consommateurs. Le débat était animé par le très renommé Philippe Moati, tandis que Wexperience était représentée par Olivier Sauvage, en compagnie de Étienne Bressoud de BVA, ainsi que de Laetitia Vasseur de Hop (Halte à l’obsolescence programmée).

Table ronde sur les dark-pattern et les biais cognitifs. Avec Olivier Sauvage, Philippe Moati, Laetitia Vasseur et Étienne Bressoud
Olivier Sauvage de Wexperience, Philippe Moati de l’Obscoco, Laetitia Vasseur de Hop et Étienne Bressoud de BVA

On vous en a fait un résumé (merci l’IA) ! Bonne lecture !

Introduction

Par Olivier Sauvage

En France, en général, et pas par ceux qui le font, le marketing est vu comme une sorte d’hydre, une créature monstrueuse, acharnée à détrousser le consommateur-citoyen. Autant le dire, son image n’est pas vraiment bonne, contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxon où les mots vendre, commercialiser, promouvoir ne sont pas forcément honteux.

Le marketing, depuis la nuit des temps, j’allais dire – et c’est presque vrai – use et abuse de techniques de persuasion pour faire “craquer” le consommateur. Ces techniques sont connues depuis belle lurette et une grande part d’entre elles font appel à ce qu’on appelle des nudges ou des “manipulations mentales” qui reposent sur l’abus de nos biais cognitifss, ça c’est pour ceux qui voit le mal absolu dans le marketing. Et il ne faut se mentir : vendre passe toujours par un peu de mensonge, beaucoup de séduction et de promesse, voire parfois par un peu de pression psychologique, mais est-ce si différent des techniques que nous utilisons nous mêmes, entre humains, dans nos jeux amoureux ? Je ne le pense pas. Lors d’un premier rendez-vous, ne nous faisons nous pas tous un peu “beaux”, n’essayons-nous pas tous de montrer nos plus beaux attraits et nos meilleures qualités ? Est-ce que ce sont des mensonges ou est-ce une manière d’orienter le regard de l’autre pour le persuader ? Avouez que le marketing, c’est ça. C’est la manière dont les marques tentent de nous séduire, jour après jour, inlassablement, sans discontinuité.

C’est acceptable, dans la mesure où nous avons tous besoin d’acheter et de consommer. Ça l’est moins quand les messages deviennent insistants, trompeurs, agressifs et qu’il devient impossible de ne plus les entendre (de ne plus pouvoir couper le son, si vous voulez).

Évidemment, la frontière entre ce qui est acceptable est floue. Et non seulement floue, mais mouvante. Exactement, encore une fois, comme dans les relations amoureuses. Les règles du jeu évoluent. Ce qui était permis à une époque ne l’est plus aujourd’hui. En marketing, c’est pareil.

Alors ?

Quelles règles doivent adopter les marques et les marchands ? Dans quelle mesure doivent-ils utiliser nos faiblesses cognitives pour nous séduire ? Comment trouver un juste milieu dans la réglementation pour laisser tout le monde sur un pied d’égalité et pour que la consommation soit un acte à la fois citoyen et heureux ? Beaucoup de questions auxquelles nous avons essayé de répondre très brièvement au cours de ce débat que je vous laisse découvrir.

Et pour conclure, n’oubliez pas une chose : ce sont les designers et l’UX qui vous aideront à prendre les bonnes décisions !

1. Le cadre théorique : Comprendre la mécanique du “Nudge”

Étienne Bressoud (BVA Nudge Unit) a posé les fondations du débat en expliquant que le marketing et les sciences comportementales ne créent pas les biais cognitifs, mais les utilisent.

  • L’origine et la définition : Le concept de Nudge, popularisé en 2008 par Thaler et Sunstein, se définit comme une organisation de l’architecture de choix. L’objectif est d’aider les gens à atteindre leur comportement désiré sans changer les incitations économiques (prix) ni interdire d’options.
  • Système 1 vs Système 2 : Il a détaillé la théorie de Daniel Kahneman sur les deux vitesses de la pensée. Le “Système 1” est rapide et automatique (comme répondre à “2+2”), tandis que le “Système 2” est lent et demande un effort (comme calculer “25 x 37”). Le marketing s’adresse majoritairement au Système 1 pour fluidifier la décision.
  • La puissance du choix par défaut : Pour illustrer la force de l’inertie, il a cité une étude sur les contrats d’électricité. Lorsque l’option “énergie verte” (plus chère) est cochée par défaut, 70% des gens la gardent. Lorsqu’il faut cocher une case pour l’obtenir, seulement 7% le font.
  • La grille d’éthique : Pour savoir si un “coup de pouce” devient de la manipulation, Bressoud propose cinq critères :
    1. L’objectif est-il condamnable ?
    2. Qui est le bénéficiaire (l’entreprise ou le consommateur) ?
    3. Le choix est-il réduit ou contraint ?
    4. L’action est-elle transparente ?
    5. Le “test de la publicité” : seriez-vous à l’aise d’expliquer cette mécanique à votre mère ou qu’elle soit rendue publique en première page des journaux ?

2. La réalité du terrain : UX, confiance et “Dark Patterns”

Olivier Sauvage (Wexperience) a défendu une vision pragmatique du métier de l’UX (Expérience Utilisateur), tout en reconnaissant les dérives.

  • Le rôle du marketeur : Il a insisté sur le fait que son métier consiste à concevoir des interfaces pour rendre l’expérience la plus fluide possible et aider l’utilisateur à faire le choix le plus éclairé. Il conteste l’idée que le commerce cherche systématiquement à tromper, car la confiance est le socle de la relation client.
  • L’anecdote du “Buffet Campagnard” : Pour illustrer que les pratiques douteuses ne datent pas d’Internet, il a raconté une histoire de l’époque de la Vente à Distance (VAD). Une enseigne promettait un “buffet campagnard” en cadeau. Les clients recevaient en réalité une maquette miniature en plastique. C’était légal, mais moralement à la limite et déceptif.
  • Les “Dark Patterns” : Il a reconnu l’existence de pièges comme les fausses urgences ou les cases pré-cochées pour les abonnements. Cependant, il estime que le marché français est assez vertueux et protégé par la réglementation, contrairement à certains sites internationaux ou chinois qui exploitent ces failles de manière industrielle.

3. La critique sociétale : L’injonction à la surconsommation

Lætitia Vasseur (HOP) a porté la contradiction en élargissant le débat aux conséquences environnementales.

  • La fabrique du désir : Elle a souligné que le marketing ne se contente pas de répondre aux besoins, mais crée des désirs artificiels. Elle s’oppose à l’idée que le consommateur est parfaitement libre, arguant qu’il est soumis à des milliers de stimuli par jour (publicités, notifications) qui saturent son attention.
  • L’exemple de la Fast Fashion : Elle a cité les plateformes de mode ultra-rapide qui utilisent la “gamification” (jeux, récompenses) pour activer le circuit de la récompense dans le cerveau et créer une forme d’addiction à l’achat.
  • L’asymétrie d’information : Un point central de son argumentation est que l’échange n’est pas équitable. Le vendeur sait tout du produit, tandis que l’acheteur ignore souvent sa durabilité réelle ou sa réparabilité. Elle plaide pour que l’information sur la durée de vie devienne une donnée aussi visible que le prix.

4. Le futur proche : La rupture de l’Intelligence Artificielle

La fin de la table ronde s’est concentrée sur les bouleversements apportés par l’IA générative, avec des démonstrations d’Olivier Sauvage.

  • La création de contenu massive : Il a montré comment l’IA peut désormais analyser une vidéo (ex: un site Ferrari) pour en comprendre la structure, ou générer un site web entier à partir d’une simple image ou d’un prompt.
  • Le cas “Air Canada” : Il a cité l’exemple d’un chatbot d’Air Canada basé sur une IA, qui a inventé une politique de remboursement pour un client endeuillé. La compagnie a été jugée responsable des engagements pris par son IA, illustrant la perte de contrôle potentielle des entreprises sur leurs propres outils.
  • L’hyper-personnalisation : Le risque majeur identifié est la capacité de l’IA à créer une influence “One-to-One”. L’IA pourrait générer des arguments et des interfaces spécifiquement conçus pour les faiblesses psychologiques de chaque individu, rendant la manipulation beaucoup plus difficile à détecter et à réguler.

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