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Analyse de cas : la stratégie de recommandation de Netflix

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Analyse de cas : la stratégie de recommandation de Netflix

Sur PC, la page d’accueil de Netflix est hautement immersive avec une vidéo plein-écran dès l’arrivée. Ce choix de dérouler automatiquement des vidéos ne finit-il pas par devenir énervant ?

 

Comment faire revenir encore et encore ses utilisateurs sur sa plateforme ? Comment les aider à trouver la bonne série ? Comment les satisfaire toujours plus ?

Comme toute plateforme de streaming, Netflix teste en permanence de nouveaux moyens de garder son audience. De l’IA, avec des algorithmes de recommandation élaborés jusqu’à l’UX avec des patterns de relance ou de découverte censés en permanence nous en donner pour notre argent. Mais le challenge n’est pas facile et j’en veux pour preuve mes longues séances personnelles de recherche de nouvelles séries ou de série souvent récompensées par l’échec.

Netflix utilise différents “patterns” UX pour aider l’utilisateur à choisir une nouvelle série

Il faut vraiment voir le site de Netflix sur PC comme une une énorme page de recommandation. Tout n’y est fait que pour vous permettre de trouver le plus rapidement possible une nouvelle série après l’autre.. Pour cela, plusieurs mécanismes sont employés. Tous reposant, en premier, sur l’IA de la plateforme. En fonction de vos visionnages, de vos goûts, Netflix est censé vous proposer toujours ce que vous allez aimer.

Premier pattern : le rangement par critère

Netflix me fait penser à une sorte d’immense rayon de vidéothèque. L’avantage, c’est que ce rayon peut s’agrandir indéfiniment, se réordonner automatiquement, changer d’apparence, s’animer, toujours pour vous satisfaire plus. Et en plus des vieilles catégories classique : humour, drame, science-fiction, etc. Le classement s’y fait sur d’autres critères plus psychologiques : “Parce que vous avez regardé…”, “Tendances actuelles”, “Les plus gros succès”. Les séries y sont présentées sous forme de vignettes permettant un parcours rapide du regard sur la page sans s’encombrer d’informations sans intérêt.

 

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Une sorte d’immense rayon de vidéothèque malléable à merci

 

Ce premier niveau de présentation donne une double impression : celle de l’abondance. Plus on montre de choses à l’écran, plus on excite le désir de l’utilisateur. Celle de la qualité, avec des vignettes extrêmement travaillées graphiquement et qui font l’objet d’une personnalisation que peu d’utilisateurs perçoivent.

Comme l’explique sur son blog l’équipe techno de Netflix, elles sont personnalisées en fonction des utilisateurs. Ainsi, contrairement à une vidéothèque, les jaquettes peuvent avoir différentes apparences, et cela, non seulement en fonction de votre personnalité, mais de vos visionnages précédents, de votre navigation, de vos avis, etc. En adoptant cette tactique mêlant graphisme et IA, l’interface est censée être plus pertinente pour chaque utilisateur.

 

Les différentes vignettes de Stranger Things sont censées s’adapter à chaque type d’utilisateur (source : blog de Netflix)

 

 

Deuxième pattern : la relance en fin de saison

Très classique, ce mécanisme consiste à suggérer une autre série que vous serez censé aimer après en avoir regardé une et atteint son dernier épisode. Le générique se réduit dans une mini capsule et une page plein écran vous suggère une nouvelle série. On ne peut pas la rater et un call-to-action vous permet directement de continuer à vous baffrer 🙂

Je ne sais pas si ce mécanisme est très efficace. Qui a envie de se lancer dans une nouvelle série après en avoir visionné une entière ? Ne serait-il pas mieux de pouvoir la mettre en favori pour la retrouver plus tard ? Et pourquoi une seule série ?

 

Y a-t-il un rapport entre Better Call Saul et cette série ? Je n’en suis pas certain.

 

Troisième pattern : la suggestion de séries dans la vignette de présentation

Celles là, il faut les voir. Cachées dans un onglet parmi d’autres, les recommandations sont presque invisibles. Basées sur la similarité thématique d’une série avec une autre, elles permettent un autre type de navigation. Mais, vue sa complexité, celle-ci est-elle réellement utilisée par les utilisateurs ? On peu aussi se le demander.

 

L’onglet Titres Similaires est tellement bien caché que je ne suis allé le voir que pour écrire cet article

 

Quatrième pattern : la publicité intersticielle

Ce pattern a été mené à titre expérimental pour mettre en avant les propres productions de Netflix, au détriment des autres. Similaire à des publicités dans Youtube, elles apparaissent entre les épisodes et il n’est pas possible de les escamoter avant quelques secondes de visionnage. Autant dire qu’elles ont laissé un avis mitigé parmi les utilisateurs de la plateforme.

 

Cinquième pattern : la suggestion de recherche

Cette caractéristique est plutôt originale, car elle permet de proposer des séries ou des films même pour une recherche n’ayant pas le résultat exact. C’est plus qu’un outil de recherche, c’est une machine à découvrir des oeuvres, sans doute plus performante que tous les autres patterns de recommandation.

 

Le moteur de recherche vous aide à trouver des séries, même celles que vous ne cherchez pas.

 

De l’IA pour renforcer la pertinence

Netflix nous en apprend beaucoup sur la recommandation produit. Même si son cas est particulier (il n’y a pas tant de plateformes de streaming que ça), elle utilise de nombreux mécanismes cognitifs pour tenter de capter et de maintenir notre attention :

 

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  • L’émulation : comme nous sommes des êtres sociaux et que nous aimons appartenir à un groupe, jouer sur la corde de cet appartenance est un vieux gimmick du marketing. Il est basé sur le précepte du “Les autres font ça, faites comme eux.” En découle des recommandations simples basées sur cette appartenance : “Tendances actuelles”, “Les plus gros succès sur Netflix”, “Films primés”
  • L’identification : par définition, nous aurons tendance à aimer des séries qui ressemblent aux séries que nous avons déjà regardées. Cette appétence pour le “connu” (nous aimons la nouveauté, mais la nouveauté fait toujours peur) est un filon aussi largement exploité par la phrase “Parce que vous avez regardé.” Ce mécanisme est aussi entretenu, comme nous l’avons, vu par la personnalisation des vignettes en fonction de notre profil.
  • Le syndrome de la corne d’abondance : plus il y a de choses dans la vitrine, plus on a envie de rentrer dans le magasin. La page d’accueil de Netflix semble pleine à craquer de séries prêtes à être dévorées. Mais c’est évidemment une illusion savamment entretenue. Beaucoup de séries sont proposées à plusieurs reprises dans différentes rubriques. Mais l’algorithme de rangement est tel qu’on ne le voit pas.

Ces mécanismes sont renforcés constamment par des patterns “no-cul-de-sac”. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’existe pas de fin de navigation dans Netflix et que pour l’internaute, il existe toujours un moyen de rebondir vers quelque chose de nouveau : la suggestion de séries à la fin d’une série et à l’intérieur d’une série. Il n’y a pas de 404 sur Netflix et il n’y en aura jamais.

 

Enfin, l’arme atomique de Netflix, c’est bien sûr l’IA qui permet de créer en permanence des parcours entièrement personnalisés et totalement adaptés à chaque utilisateur pour lui permettre d’aller au plus vite à l’assouvissement de son désir. Chaque utilisateur de la plateforme a son propre magasin, en quelque sorte, et ce magasin se réorganise à chaque visite.

 

90 secondes pour faire son choix

D’après Nick Nelson, ex-responsable de l’expérience client de Netflix, il faut 90 secondes maximum pour convaincre un internaute de choisir une nouvelle série. Au delà de ce temps, il part faire autre chose. Ce délai est très court, surtout si on le compare au temps que l’on passait autrefois à choisir une K7 VHS dans une vidéothèque 🙂

Le système de recommandation est donc aussi soutenu par un ensemble de micro-interactions à base d’animations fluides (voir mon dernier article sur l’importance de celles-ci) et surprenantes, déclenchées par des interactions demandant un minimum d’effort Chez Netflix, le rollover est privilégié par rapport au clic (sur PC), ce qui a tendance à rendre beaucoup plus vivante l’interface.

Il permet de plonger l’utilisateur dans le “flow”. Un principe propre au jeu vidéo, mais que l’on retrouve ici, et qui consiste à maintenir en permanence à un haut niveau d’excitation le cerveau de l’utilisateur. Lorsqu’il est dans le “flow”, il ne voit pas le temps passer et son plaisir est démultiplié.

 

Deux anicroches pourtant :

  • le déclenchement quasi systématique et automatique des trailers vidéo. C’est assez insupportable.
  • les ouvertures de popin s’agrandissant au passage de la souris et masquant des éléments d’interfaces,

Les deux ont tendance à casser ce fameux flow et le premier surtout augmente les chances de faire passer l’utilisateur d’un mode actif (la recherche) à un mode passif (le visionnage), peu propice à la découverte..

 

Un système efficace ?

Netflix s’y prend-t-il bien pour pousser de la recommandation à ses abonnés ? Mon expérience personnelle me montre que malgré toute cette artillerie, il n’est pas rare que je passe des minutes entières à essayer de trouver une série que je n’ai pas encore vue. Parfois cela marche. Très souvent, c’est plutôt décevant. Et ce n’est pas le taux d’affinité affiché en pourcentage à côté des titres de série qui m’y aide. IT Crowd, une série que j’adore, ne m’est recommandé qu’à 67% et je ne l’ai finalement regardé que parce que j’en avais entendu parler ailleurs. Et il semble que je ne sois pas le seul dans ce cas. Beaucoup d’utilisateurs de la plateforme découvrent des séries via leurs amis ou des critiques en ligne ou par d’autres moyens encore.

Je m’interroge d’ailleurs sur la pertinence d’avoir effacé brutalement tous les avis utilisateurs de la plateforme la semaine dernière. Ceux-ci ne pouvaient-ils pas aider à se faire un avis, comme c’est le cas des sites de ecommerce (avis qui font la richesse d’une plateforme comme celle d’Amazon) ? Cette évacuation de la recommandation “humaine” me parait contreproductif et semble découler de choix financiers plutôt qu’une d’une véritable stratégie centrée utilisateur. Choix probablement dicté par le besoin de mettre en avant les séries Netflix, jugées moyennes par les américains, et que les utilisateurs auraient tendance à mal noter. Et c’est bien là tout le problème. La meilleure UX ne peut se substituer à une offre médiocre ou insuffisante.

 

 

Photo de l’article par freestocks.org sur Unsplash

 


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