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Créer des Habitudes Numériques : Entre Service et Manipulation

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Créer des Habitudes Numériques : Entre Service et Manipulation

Hier, Le Book club de Content Design FR (page) avait eu l’excellente idée d’inviter Nir Eyal, l’auteur du fameux Hooked, mais aussi de Indistractable, 2 livres qui se répondent et abordent la question des habitudes sur le digital.

On a beaucoup reproché à Nir Eyal d’avoir théorisé la création d’habitudes chez les utilisateurs à des fins mercantiles, mais il s’en défend et prétend même que créer des habitudes chez des utilisateurs, c’est leur rendre service.

J’ai l’impression qu’on a deux visions radicalement différentes de cela des deux côtés de l’Atlantique.

D’un côté, les américains qui ne voient aucun mal à ce que les gens deviennent accrocs à un produit numérique, du moment que c’est pour leur bien, et du moment qu’ils conservent leur libre arbitre pour s’auto-réguler.

De l’autre, nous les européens, qui considéront que les grandes entreprises du digital (ex : TikTok ou X) jouent de nos habitudes pour nous faire perdre notre temps à des choses futiles et dangereuses (oui, je parle des réseaux sociaux).

Je ne rentrerai pas dans ce débat là, qui, à mon avis, découle de deux visions du monde opposables et parfaitement culturelles.

En revanche, se pose réellement la question du pourquoi créer des habitudes dans le cadre d’un produit ou d’un service numérique ?

Parce que, d’après Nir Eyal, c’est indispensable pour qu’une entreprise réussisse.

Si elle ne crée pas d’habitude chez les utilisateurs, si elle ne transforme pas son utilisation en réflexe, alors elle aura du mal à créer un modèle économique durablement profitable.

Et, d’un certain côté, il n’a pas tort.

Créer un modèle d’affaire dans le digital aujourd’hui est devenu très difficile tant la concurrence est rude. On oublie trop souvent à quel point il est difficile de garder une place de leader, parce qu’on a l’impression que les grands gagnants à un instant t sont là pour durer toujours… Or, ça n’est pas si vrai.

Nir Eyal citait l’exemple de Facebook, qui, aujourd’hui, est relayé au rang des réseaux ringards, alors qu’il y a quelques années, il était encore le roi des rois.

Et on peut s’attendre à ce que Tiktok se voit aussi détrôné un jour par un autre réseau.

Ce que dit Nir Eyal, c’est que créer des habitudes est le meilleur moyen de vous défendre contre le changement et de la concurrence. Le rachat raté de Figma par Adobe vient nous le rappeler.

En essayant de racheter Figma, Adobe avouait son incapacité à détourner les utilisateurs de Figma de ses propres produits. Les habitudes avaient été déjà prises.

Et on peut être certain, que Figma, d’ailleurs, a toujours pensé son produit en le rendant le plus facile possible à prendre en main, et à créer des habitudes dont les utilisateurs auraient du mal à se débarrasser.

Autrement dit, créer des habitudes est sans doute le moyen le plus puissant de garder vos utilisateurs.

Le plus puissant, mais aussi la chose la plus dure à accomplir.

Et c’est aussi ce que Nir Eyal disait au cours de ce webinar. Très peu d’entreprises y parviennent (toutes n’ont pas non plus à accomplir cet objectif, bien sûr) et beaucoup s’y cassent les dents (cf toutes les startups de la terre).

Nir Eyal ne voit pas le mal dans le fait de créer des habitudes, il y voit un moyen de rendre service à des utilisateurs, en leur rendant mécanique, simple et sans effort, des actions à accomplir sur une application.

Que ce soit orienté pour le plaisir ou pour l’utilité (et on pourrait aussi très bien débattre de ce fait… ce qui est futile est-il vraiment inutile, à l’heure où, dans les sociétés riches, nous n’avons jamais disposé d’autant de temps libre ? cf le sociologue Jean Viard, dans le Nouveau Portrait de la France)

Ne portons pas cette question sur un terrain moral, mais sur un terrain strictement UX.

Rendre indispensable un produit, créer une habitude est-il mal ou abusif ?

Est-ce que c’est un dark pattern ?

Une chose est certaine : quand on s’occupe de design produit et d’UX, on a intérêt à connaître ces mécanismes (et à lire les livres de Nir Eyal)… car il n’est rien de pire qu’un designer qui ne connaître pas toutes les facettes de son métier, qu’elles soient obscures ou pas 🙂


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